C’est un monde magique

C’est un monde magique

Prédication sur 1 JN 2, 1-7

 (lectures du jour à la fin)

Pour vous montrer que faire des études de théologie permet d’apprendre des choses utiles dans la vie de tous les jours, permettez-moi de vous de vous poser une question dont j’ai appris la réponse pendant ces chères années d’étude.

Savez-vous la différence entre les adjectifs johannitejohannien et johannique : on parle ainsi de courant johannite, de courant johannien et de courant johannique au sein des premières communautés chrétiennes.

Les johannites, disciples de Jean Le Baptiste, avaient une vision d’un Jésus essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) humain, une sorte de disciple lui aussi de Jean Le Baptiste, dont la mort ne serait suivi d’aucune résurrection avant la fin des temps.

Les johanniens, disciples proclamés de l’apôtre Jean, avait une vision d’un Jésus essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) divin, une sorte de pur esprit qui aurait été hébergé temporairement dans une enveloppe humaine, permettant à cette enveloppe humaine de vivre une vie parfaite et pure avant de regagner le ciel au moment de la crucifixion.

Les johanniques, se réclamant également de Jean, s’inscrivent pour leur part dans l’orthodoxie de Paul : Christ est à la fois divin et humain, il est mort et ressuscité dans son intégrité pleine et entière. C’est à eux que s’adressent notre lettre, supposément écrite par Jean, pour les alerter contre une déviance de leur communauté (sans doute d’Ephèse), contre la tentation à se rapprocher un peu trop du courant johannien, c’est-à-dire d’une version trop « éthérée », « spirituelle », « pneumatique » (au sens de pneuma, l’esprit) de Jésus Christ.

Cette interprétation des évangiles qui expliquerait l’inexplicable, l’union en Christ de l’humain et du divin, est hélas trop réductrice. On ne peut pas assimiler Jésus Christ à un pneumatique, à une enveloppe humaine avec de l’Esprit dedans, qui ne demanderait qu’à s’échapper par un trou du flanc ou des mains au moment de la crucifixion.

Le message de Jésus Christ, tout spirituel qu’il soit, est au contraire profondément enraciné dans la vie humaine et dans toute la création : il n’est pas en aucune façon une ascèse (intellectuelle, physique ou morale), la recherche d’un détachement forcé vis-à-vis des contingences du monde, ou un système philosophique qui opposerait, comme dans le Platonisme, l’idée contre la matière, la contemplation contre l’action. Jean va le rappeler aux johanniens en développant ici trois idées clés :

  • La modèle d’Eglise proposée par le Christ, est d’abord une fraternité humaine avant d’être une collection d’âmes pures
  • L’homme n’est pas sauvé en dehors du monde, mais dans le monde,
  • C’est parce qu’il agit dans le monde, que l’homme peut réaliser qu’il a déjà été sauvé.

Pour le premier point, dès le verset 1, Jean le rappelle à ses disciples : vous êtes mes enfants selon la chair, de préférence à « selon l’esprit ».  Jésus, comme dans l’évangile du jour, apparait après sa mort au milieu de ses disciples, comme il a toujours fait, et non dans leurs rêves ou leurs extases comme faisaient les dieux anciens. Le modèle d’église du Christ proposé, est donc le modèle familial, le modèle de la fratrie, c’est-à-dire une mini-société d’égaux. Cette communauté existe par des choses vécues en commun, partagées en commun comme ce poisson que mange Jésus, mais ce partage pourrait être aussi un simple bonjour échangé sur la place du marché. Contrairement à ce qui existent dans les religions à mystères qui inspirent les johanniens, il n’y a pas de hiérarchie d’initiés dans l’Eglise du Christ, tous font partie d’une même communauté de frères et sœurs, sans qu’il soit attaché d’importance à ce que l’un soit plus avancé que l’autre dans sa connaissance des articles de foi.

Pour le second point, dès le verset 2, Jean rappelle que Jésus n’est pas la propriété exclusive de cette communauté, qui aurait peut-être alors tendance, comme les johanniens,  à se refermer sur elle-même comme une secte, entre soi-disant « justes » pour regarder de haut le reste du monde. Le Christ est venu pour la Création toute entière : si le Christ donne un sens à notre vie, il le donne en lien avec le reste de la Création. Nous ne pouvons pas être sauvés indépendamment du Monde, ni sans que nous interagissions avec lui : Jésus, même ressuscité des morts, a faim et demande à manger, comme pour prouver que l’accomplissement de sa mission personnelle ne l’a pas mis « hors » du monde, hors de la relations d’affection et d’intérêt sincère qu’il porte aux autres, en particulier à ceux qui croient en lui. Notre foi prend un sens parce qu’elle se voit proposée comme terrain d’application toute la Création.

Enfin troisième point, par mouvement réciproque, c’est la Création elle-même qui prend un sens pour celui qui agit sur elle : elle permet tel un miroir de renvoyer au croyant la confirmation de son propre salut.  C’est ce qu’explicite, de façon condensée, le verset 3.

 « En cela nous connaissons que nous l’avons connu : si nous venons à garder ses commandements. » : le verset est plus difficile à comprendre en français qu’en grec car il fait se succéder, en trois verbes successifs, trois nuances différentes (trois « aspects » selon le terme exact de la grammaire) qui précisent le sens :

  • Nous connaissons : imperfectif présent, action en cours
  • Nous avons connu : parfait passé, action passée dont l’effet est acquis une fois pour toute
  • Nous venons à garder : subjonctif futur, action éventuelle et envisagée dans le futur

La grâce du Christ nous a été donnée une fois pour toutes, elle ne peut plus être remise en cause (parfait passé, nous l’avons connu). Mais comment le saurions nous, dans l’instant présent ?  (imperfectif présent, nous connaissons) Parce que cette Grâce nous ouvre à des possibilités d’actions futures dans la Création, selon les commandements du Christ (subjonctif futur, si nous venons à garder), possibilités que nous ne pourrons pas refuser. La Grâce nous mène à des chemins dans le Monde selon lesquels nous sommes tenus de marcher, non par la force d’un devoir, mais par l’impulsion du don de la Grâce : des chemins de service, des chemins de peine comme des chemins de joie partagés, entre frères et sœurs d’Eglise mais aussi hors de l’Eglise, dans toute la Création. 

Pour Jean dans cette lettre, c’est bien par cette action de « garder les commandements » dans le monde que s’accomplit, et la vérité de l’enseignement du Christ, et la révélation du croyant à lui-même, et même de l’Eglise au croyant. C’est dans cette communauté fraternelle, engagée dans la Création, que le croyant va au fond se rencontrer lui-même comme disciple du Christ, et membre du corps du Christ : ceux qui attendent d’autres révélations, d’autres rituels pour s’en convaincre attendront en vain.

Les johanniens de la communauté d’Ephèse en particuliers qui pensent que la vérité de Jésus est à chercher en dehors du monde, et que l’union à l’Idée divine, que le Christ a incarnée pour un temps limité, se fera aussi hors du monde, ces johanniens font une terrible erreur. Il n’y a pas un monde magique, parfait, supérieur au nôtre qui attend ses élus : le seul monde magique est ici-bas.

Alors qu’ils croient être portés par le Souffle de l’esprit jusqu’aux sphères célestes, le johanniens devraient réaliser que l’Esprit a en réalité cessé de souffler sur eux. Contrairement à ce qu’ils pensent, ils s’éloignent plus qu’ils ne s’approchent de la vérité de Dieu. Contrairement à ce qu’ils aimeraient croire, ils ne sont absolument pas en Christ, comme dit le verset 5, c’est-à-dire qu’il ne font pas partie du corps du Christ, de la communauté des saints présents au monde, qui est l’Eglise universelle. 

En conclusion, cette lettre de Jean nous permet donc d’entendre les lointains échos des premiers débats sur l’enseignement du Christ, et surtout sur la conséquence du déchirement du voile du Temple, c’est-à-dire du symbole de la frontière, autrefois infranchissable, séparant Dieu et l’homme, le monde divin et le monde humain. A cette première hérésie johannienne, l’apôtre rappelle justement qu’il ne faut pas rétablir hâtivement cette frontière incarnée par le Christ, surtout en prétendant donner comme objectif au chrétien de s’élever d’un monde à l’autre, et comme preuve de cette ascension une sorte d’extase narcissique. La Grâce au contraire est descendue, elle nous a rapproché des autres, elle a déjà ouvert l’intégralité de notre être à toutes sortes de possibilités d’actions dans la Création selon l’enseignement de l’Evangile, certaines actions que nous voyons, et certaines que nous ne voyons pas encore. Et c’est en acceptant notre rôle de disciples du Christ dans le monde, c’est « En cela nous savons que nous sommes en Christ ».

Amen

LECTURES DU JOUR

 (LC 24, 35-48)

En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore,  lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »

1 JN 2, 1-7)

Lecture de la première lettre de Jean, chapitre 2, 1-7.

Enfants de ma chair, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un avocat devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui est le sacrifice, offert pour nos péchés, non seulement des nôtres, mais même de la Création entière.En cela nous connaissons que nous l’avons connu : si nous venons à garder ses commandements. Celui qui dit : « Je l’ai connu », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : en cela n’est pas la vérité. Celui qui garde sa parole, en cela véritablement l’amour de Dieu s’accomplit. En cela, nous savons que nous sommes en Christ.

Celui qui dit qu’il est en Christ, il est tenu d’y demeurer, et comme Christ a marché, lui-même ainsi est tenu d’y marcher.

Mes frères, je ne vous écris pas un commandement nouveau, mais un commandement ancien, celui que vous aviez dès le commencement ; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue dès le commencement.

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