
Fils d’Adam, frère du Christ
CULTE DU 16 FÉVRIER 2025
LECTURE DU JOUR
1ER LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS, CHAPITRE 15, VERSET 2 À 20
Or, si l’on prêche que Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns d’entre vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ?
Mais, s’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ aussi n’est pas ressuscité.
Et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, vaine aussi est votre foi. Et même, nous sommes trouvés de faux témoins à l’égard de Dieu ; car nous avons rendu ce témoignage contre Dieu, qu’il a ressuscité Christ, lequel il n’a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas. Car si les morts ne ressuscitent pas, Christ n’est pas non plus ressuscité ; et si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés ; ceux donc aussi qui se sont endormis en Christ sont perdus.
Si c’est dans cette vie seulement que nous avons espéré en Christ, nous sommes les plus misérables de tous les hommes. Mais maintenant Christ est ressuscité des morts, comme prémices de ceux qui se sont endormis. Car, puisque la mort est venue par un homme, la résurrection des morts est aussi venue par un homme.
Car, comme en Adam tous meurent, de même aussi en Christ tous revivront.
PRÉDICATION
La vision d’une résurrection des morts fait partie de notre fonds religieux et culturel occidental commun. Cette idée a été abondamment illustrée dans l’iconographie occidentale, au moins dans la représentation canonique de la fin des temps décrite dans l’apocalypse. La résurrection des morts (ou plus précisément de la chair) est bien mentionnée dans le symbole dit des apôtres que nous confessons régulièrement.
C’est pourtant une vision qui ne semble pas présente dans la prédication originelle de Jésus. La question de l’entrée dans le royaume éternel de Dieu est centrale, l’importance de vivre une vie nouvelle dans ce royaume est maintes fois répétée, l’attente d’une autre consolation que celles apportées dans notre vie corporelle s’affirme comme un marqueur de foi, mais pas une seule fois n’est mentionné dans les évangiles la possibilité d’une résurrection universelle des corps. Un verset ce Luc est parfois cité par les exégètes plus acharnés à trouver un fondement de cette idée dans les évangiles (Luc 19.11 « la reine du Sud sera relevée (ressuscitée ?) avec les hommes de cette génération ») mais cette justification serait, au mieux, un cas isolé.
L’idée d’une résurrection générale des corps est un bien propre de Paul, proposé dès sa première lettre aux Thessaloniciens mais surtout explicité dans ce chapitre 15 de la première lettre aux Corinthiens. Certains exégètes appellent d’ailleurs ce chapitre « l’évangile de la résurrection », car Paul y propose tout un développement théologique à partir de la notion de résurrection du Christ, un développement qui ne convainc d’ailleurs par tous les fidèles de la première heure, en particulier dans la communauté de Corinthe.
S’il est des débats de communauté que Paul ne juge pas utile de trancher (sur la question du célibat par exemple) car tous les choix lui paraissent acceptables dans sa compréhension de l’Evangile de Jésus-Christ. Il en est d’autres par contre où il ne transige pas, et tranche, car ils mettent en péril l’héritage du Christ : la circoncision, les interdits alimentaires et ici – de façon peut être plus surprenante – la résurrection universelle des morts.
Comment Paul cherche-il à convaincre les corinthiens ? et pourquoi cette insistance sur un sujet dont on pourrait se dire qu’il ne revêt pas un enjeu aussi urgent ni immédiat que la question des repas en commun ?
Commençons par analyser le « comment », c’est à dire l’argumentation de Paul.
Paul, qui a reçu une solide formation classique grecque, va utiliser une technique usuelle chez un orateur : la figure de style du syllogisme.
On connait le syllogisme classique : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel (syllogisme dit de première espèce).
Dans notre texte, Paul utilise une forme de syllogisme différente, celle dite de troisième espèce :
Jésus est ressuscité, or jésus est un homme qui est mort, donc les hommes morts ressuscitent.
Syllogisme dont on se rend compte tout de suite qu’il n’est pas logiquement correct comme le savait déjà Aristote : la conclusion d’un tel syllogisme de troisième espèce devrait être : « donc certains hommes peuvent ressusciter ».
Certains ressuscitent, peut être certains seulement et pas d’autres : voilà la seule conclusion fiable du syllogisme, et pourtant voilà celle que Paul attaque avec virulence : « tous les morts ressuscitent, tous sans exception, et non pas seulement certains – dire le contraire c’est être coupable devant Dieu ». C’est l’homme, la nature humaine dans son intégralité qui a été changée par la mort et la résurrection du Christ. Il n’y a en pas certains qui ressuscitent parce qu’ils sont plus justes que les autres, ou parce qu’ils sont de meilleurs disciples, ou parce qu’ils ont plus étudié la Bible.
Pourquoi ?
Parce que, nous dit Paul, Christ est prémices de tous les ressuscités. C’est là qu’il est important de ne pas comprendre le mot « prémices » de notre texte (ἀπαρχὴ) au sens usuel – premier événement d’une suite d’événements semblables – , mais de le comprendre selon le sens grec – sacrifice d’inauguration fait à Dieu. Le christ n’est pas juste le premier des ressuscités dans l’ordre chronologique des ressuscités, il en est la condition première. Il est le seul humain dont le sacrifice puis la résurrection ont permis que toute la relation de Dieu à l’homme soit bouleversée. Il est celui qui a permis une fois pour tout toute, par son sacrifice, que tout humain ressuscite dans l’intégralité de sa chair. Le Christ n’est pas juste un magicien ou un maître de la Loi : il est le sauveur de l’homme, celui qui le ressuscite dans son intégralité d’être humain. Et nous serions les plus misérables, les plus mesquins des hommes si nous pensions que la venue du Christ ne changeait pas notre nature essentielle (c’est-à-dire n’affectait pas notre essence même d’être humain) mais seulement notre caractère accidentel (c’est-à-dire ne changeait que certaines qualités ou attitudes que nous avons).
Tous les hommes certes ne sont pas disciples du Christ, certains n’en ont jamais entendu parler, certaines tiennent même le fait de croire pour une faiblesse ou un aveuglement. Peu importe : tous, nous sommes ressuscités dans la chair, car la résurrection dans la chair a été accordé à tous par le sacrifice du Christ. Toutefois bien sûr, seuls les disciples du Christ savent le prix que Dieu a payé pour cette résurrection et celui que nous, disciples du Christ, nous engageons à payer nous aussi : « vous avez été appelés en Christ à être libre seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon votre ancienne chair mais mettez-vous au service les uns des autres, car c’est ce vers quoi vous pousse votre nouvelle chair, c’est le nouveau désir apparu dans votre corps pleinement ressuscité ».
Voilà pourquoi Paul passe tant de temps expliquer sa position aux Corinthiens. Loin d’être un sujet réduit à la fin des temps, un débat purement intellectuel, la question de la résurrection universelle des corps est vitale pour la survie de la jeune communauté. Le chrétien n’est pas essentiellement différent du non chrétien : Christ est mort pour tous, Christ a offert la résurrection de la chair à tous – il a déjà transformé toute l’humanité. Et c’est précisément parce que nous chrétiens avons cette certitude que nous ne pouvons-nous empêcher d’aller à la rencontre de l’autre, que nous ne pouvons-nous empêcher de nous mettre au service de nos frères. Ce qui nous paraissait, du pas de la logique, un syllogisme bancal devient soudain tout à fait cohérent dans la théologie de Paul : si je ne crois pas que tous les autres sont des ressuscités, alors à quoi sert que Christ soit mort et ressuscité ? Si l’Eternel, Dieu de toute la création, voulait réduire son action vivifiante à un clan ou à une confession, alors il ne serait que le Dieu d’un pays, d’une ethnie, d’un Israël refermé sur lui-même.
En conclusion, en ces périodes de guerre et de troubles, la Parole de Paul nous ramène à l’essentiel du message de jésus : mettez-vous au service les uns des autres, reconnaissez dans l’autre un ressuscité tout comme vous, quel que soit son origine ou son opinion. Car comme dit Paul nous n’espérons pas seulement pour nous, dans cette vie mortelle – nous espérons pour tous, dans la vie éternelle que nous offre à tous le Christ., car « comme en Adam tous meurent, en Christ tous revivront ».
Amen