Prédication 11 juillet 2021 – Prédicateur Axel WEYTENS – Apôtres et prophètes
Lecture du livre du prophète Amos : Chapitre 7, 8-15
Le Seigneur me dit : « Que vois-tu, Amos ? » Je répondis : « Un fil à plomb ». Le Seigneur me dit : « Voici que je tiens le fil à plomb au milieu de mon peuple Israël ; j’en ai fini de passer outre en sa faveur. Les lieux sacrés d’Isaac seront dévastés, et les sanctuaires d’Israël, rasés ; je me dresserai avec l’épée contre la maison de Jéroboam. ». Amazias, le prêtre de Béthel, envoya dire à Jéroboam, roi d’Israël : « Amos prêche la révolte contre toi, en plein royaume d’Israël ; le pays ne peut plus supporter tous ses discours, car voici ce que dit Amos : “Le roi Jéroboam périra par l’épée, et Israël sera déporté loin de sa terre ».
Puis, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël ».
Évangile de Marc : Chapitre 6,7-13
En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Prédication
Le bilan, du temps de Jésus, que tire le peuple juif de 600 ans de prophéties écrites (disons de -850 avec Elie à -250 avec Daniel), bilan d’où émergent la quinzaine de prophètes de nos Bibles, n’est pas vraiment brillant …
Il faut comprendre que le phénomène prophétique dans le moyen orient ancien est très loin de l’idée un peu naïve que nous transmet notre catéchisme d’enfance, qui se focalise sur quelques grandes figures de la Bible : le prophète serait un homme d’exception, un parmi des milliers, qui apparait comme par magie de nulle part, pour proclamer d’une voix forte un message de Dieu qui finit d’autorité par convaincre les foules et les mener à la rédemption (sinon envoyer un prophète serait pour Dieu une perte de temps et d’énergie).
Tout quasiment dans cette image d’Épinal est faux.
Tout d’abord regardons le personnage historique du prophète :
Les prophètes ne sont pas rares. Au contraire Jérémie se plaint qu’ils pullulaient en Juda du temps des deux royaumes. Il y a des prophètes hommes, des prophètes femmes, certains qui proclament en paroles, d’autres simplement en gestes et mime. Il y a, et c’est une distinction importante pour comprendre notre passage d’Amos, les prophètes « chefs d’entreprise », soit auto-entrepreneurs, soit à la tête de véritables écoles (1R 22-10), et des prophètes « fonctionnaires ». Les prophètes fonctionnaires sont ceux qui sont associés à la fonction royale et au Temple. Ils font partie de la classe des prêtres qui entourent le roi, le conseillent et le légitiment. C’est le cas du fameux Amazias de notre texte qui rappelle à Amos que la ville de Bethel est sa chasse gardée de prophétie, et sa charge de serviteur royal (charge qu’il transmettra d’ailleurs à ses enfants). Amazias est responsable auprès du roi qu’aucune prophétie « tendancieuse » ne soit émise contre le royaume d’Israel à Bethel, et il suggère fortement à Amos de tenter sa chance plutôt en Juda … où le message d’Amos sera tout à fait dans le ton des prophéties autorisées et même encouragées par le roi de Juda. Ces prophéties à caractère politique sont évidemment des armes de propagande de masse quand deux royaumes, comme Juda et Israel sont au bord d’une guerre ouverte.
Quant au message divin en lui-même, et à son caractère authentique, il faut reconnaitre qu’il laisse le peuple d’Israel de plus en plus dubitatif voire méfiant.
Jérémie 4 10 et Ezéchiel 14 9 fustige par exemple les paroles « démagogiques » et manipulatrices des soi-disant prophètes qui, après la perte de la souveraineté judéenne, avaient annoncé (Parole de l’Eternel !) le retour d’un roi guerrier de la lignée de David qui devait renverser la domination babylonienne. Ces prophètes furent parmi les éléments déclencheurs du meurtre du gouverneur babylonien Gondolas avec pour résultat catastrophique la déportation massive du peuple et la destruction du Temple. Plutôt que d’être écoutés, de tels prophètes auraient mérité d’être jetés aux lions (comme ce prophète de Bethel en 1R13). Sagement d’ailleurs, à partir du retour d’exil et de la recolonisation de la terre sainte, les prophètes se cantonnent à des prévisions reportées à la fin du monde. Celles-ci aux moins ne risquent pas d’être prises en défaut, ni scrutées de trop près par le pouvoir politique.
Les grands prophètes de la Bible, qui à force d’énergie ont converti des villes entières comme Jonas, ou qui se sont opposés au nom de la justice aux fonctionnaires du Temple comme Amos, ne sont plus qu’un mythe romantique pour les juifs de l’an 0.
On peut dire qu’il y a donc du temps de Jésus une vraie déception de l’annonce prophétique, une désillusion collective qui amène à ne voir dans les prophètes du temps que des agitateurs politiques ou des illuminés de la fin des temps. On comprend que Zacharie s’exclame avec mélancolie « y aura-t-il encore des prophètes ? » (Za 1-6) … question à laquelle la foule est enthousiaste à lui répondre, par la négative, en le lapidant.
Les évangiles portent la trace cette déception et ne légitiment pas de nouveaux prophètes : au contraire Matthieu affirme (ch 11) que le dernier prophète, et également le plus grand, était Jean Baptiste. La révélation prophétique est désormais close : il n’y aura plus d’homme, ni héritier d’une caste de prophètes, ni prophète auto-institué, qui pourront parler au nom de Dieu, et annoncer aux hommes ce qu’ils doivent faire, maintenant.
Il n’y a plus de prophètes, mais il y a des apôtres, et avec eux c’est toute la méthode de transmission du message de Dieu qui change.
Le parallèle entre nos textes du jour est à ce titre frappant car il montre combien, dans son mode de communication, l’annonce de l’Evangile par les apôtres diffère de l’annonce de la Justice de Dieu par les prophètes. Je vois dans notre texte trois différences essentielles.
Tout d’abord, à l’inverse des prophètes qui ont une mission précise, dans un temps précis, pour une personne ou un groupe de personnes précis, les apôtres s’adresse à tous, et sont dans une logique de mobilité permanente. Ils n’ont pas non plus d’agenda précis car ils restent dans un lieu aussi longtemps que nécessaire, et le quittent sans préavis particulier. On parlerait, dans le monde de l’entreprise, d’une « gestion agile », toujours à l’écoute du contexte pour savoir comment accomplir au mieux leur mission. Leur extrême frugalité, qui ne s’encombre pas de possessions, est un des facteurs concourant à cette agilité. On n’imagine pas un apôtre interrompant son discours pour vérifier les cours de Bourse, ou s’assurer qu’il y aura du maquereau à midi.
Ensuite ce ne sont pas des figures isolées, car les apôtres vont toujours par deux. Ils sont donc une « communauté ambulante », condition indispensable pour que l’Esprit soit présent avec eux, et marche à leurs côtés. Toute figure qui s’imposerait comme seul messager privilégié du Christ tomberait dans le cadre dangereux d’une auto-glorification (assez proche de l’une des tentations de Jésus au désert). L’annonce du message n’est pas le fait d’une personne seule, mais d’une communauté croyante.
Enfin ils abordent l’autre dans une position d’humilité avant d’être dans une position d’autorité : c’est l’hospitalité qu’ils demandent d’abord, c’est-à-dire à se mettre sous la protection de celui qui les reçoit. Ils ne viennent pas en conquérant en se revendiquant d’une autorité supérieure, mais en serviteur et du Christ et au service de celui qui veut apprendre l’Evangile.
Il y a donc dans la mission d’apôtre une dimension profondément humaine, qui emporte avec elle toutes ces notions de disponibilité, d’effacement personnel, et de service. Sans cette incarnation humaine du message, il n’y a pas de partage possible de l’Evangile.
En faisant un parallèle un peu audacieux, on pourrait dire que si Dieu lui-même s’est incarné dans le Christ, si la Justice de Dieu s’est incarné dans les prophètes, l’expérience intime de Dieu dans l’humain, elle, s’est incarnée dans les apôtres : ce n’est plus juste un message que transmettent les apôtres, c’est toute une vie en Christ, leur vie, qui est présentée à l’autre. C’est la densité particulière que donne le Christ dans leur vie propre, que les apôtres partagent avec leurs interlocuteurs. C’est la communion des saints, c’est-à-dire dans la communion des êtres humains qui reconnaissent Christ, que l’apôtre propose à son interlocuteur de rejoindre.
L’apôtre partage, mais contrairement au prophète se garde de juger. Rares seront ceux qui rejoindront cette communion, mais la reconnaissance de cet échec fait aussi partie de la vie de l’apôtre, de son témoignage. « vous secouerez la poussière de vos sandales, et cela aussi sera un témoignage pour eux » : c’est le témoignage de reconnaissance de l’autre, de sa liberté de demeurer sur sa terre, dans ses conviction d’origine. Le respect de cette liberté de l’autre est aussi un enseignement fondamental de l’Evangile du Christ.
En conclusion pour nous maintenant, 2000 ans après les premiers apôtres, 2800 ans après les premiers prophètes bibliques, qui sommes-nous ?
Plutôt Prophètes, lorsque nous sommes convaincus qu’il est temps d’agir pour Christ et que nous nous mobilisons pour réaliser, ici et maintenant, un projet d’Église qui témoigne de ce que nous croyons (fides quae creditur) ? Plutôt Apôtreslorsque nous accueillons un inconnu au culte, lorsque nous voyageons à la rencontre de l’autre, pour l’écouter et lui dire simplement pourquoi nous croyons (fides qua creditur) ?
Lorsque nous sommes prophètes, sommes-nous attentifs à ne pas nous griser de nos propres certitudes, qui nous feraient oublier qu’une vérité que nous portons pour nous seul n’est pas une vérité de Dieu ? Lorsque nous sommes apôtres, sommes-nous attentifs à ne pas tomber dans un « laisser aller » fataliste, à nous contenter d’une foi qui nous convient bien, ce qui nous inciterait à secouer la poussière de nos chaussures avant même de nous être engagés (imaginant sans doute que l’œuvre de Dieu se fait tout seule) ?
Ces deux figures tutélaires, ces deux modèles qui nous sont transmis, n’ont pas en réalité vocation à être opposés mais combinés : c’est bien ce que fait Jésus lui-même, tantôt se levant pour chasser les marchands du temple, tantôt s’asseyant pour accueillir les exclus de ce monde.
L’essentiel, dans notre propre mission de transmission, plutôt que nous demander quel serait le modèle idéal à adopter à chaque instant de notre vie, c’est donc plutôt de nous laisser guider à tout instant par l’Esprit en nous, et de laisser dialoguer cet Esprit avec les diverses facettes de notre personnalité. Comme le dit Calvin « pour que le nom de Dieu ne soit pas prétendu à la volée, ni en fallace, pour que nos consciences ne soient point lassées sans cesse de doutes et de légèretés, il est bien résolu qu’il nous est requis à tout moment le témoignage secret du Saint Esprit (IRC I, VII) »
Amen