Culte du 2 octobre 2021

Culte du 2 octobre 2021

PREMIÈRE LECTURE

(Gn 1, 26-28)

26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »

27 Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa mâle et femelle.

28 Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

DEUXIÈME LECTURE

(Gn 2, 18-24)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. ». Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Isha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quitte son père et sa mère, et cherche à s’attacher à sa femme, et ils cherchent à faire une seule chair.

TROISIÈME LECTURE

(Mc 10,  2-12)

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a stipulé d’établir un acte de répudiation, puis de la renvoyer. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit mâle et femelle. À cause de cela, l’homme quitte son père et sa mère, et cherche à devenir une seule chair. Ainsi, ils ne seraient plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »

Prédication

Parmi les textes de la Bible que nombres de prédicateurs n’ont aucune envie de commenter, notre texte du jour se rangerait, je pense, dans la tête de liste …

Dans un contexte apparemment bien circonscrit, le mariage religieux entre deux individus, le texte semble valider deux présupposés, qui de nos jours font l’objet de débats brûlants entre églises :

  • La question de l’union « obligatoire » d’un être biologique mâle et femelle, invalidant donc le mariage pour tous
  • La question de la pérennité « obligatoire » d’une union en cours de vie, invalidant donc le divorce.

Celui qui cherche cependant une réponse à ces deux questions à partir de ce texte, que ce soit pour valider ou invalider les évolutions du siècle, me semblerait pourtant faire une erreur de parallaxe dans son interprétation de l’évangile de Marc, dont la théologie est tout sauf normative (au contraire d’un Matthieu par exemple). Il me parait plus prometteur de ne pas isoler ce péricope pour en tirer des conclusions catégoriques, mais au contraire de l’inscrire dans l’ensemble de l’évangile de Marc.

Nous avons vu ensemble, il y a un mois, à l’occasion du miracle sur le « sourd mal-parlant » que Marc insiste sur la dimension secrète de la foi, et sur le fait que la rencontre avec Jésus est à la fois un appel et une transformation dont le miracle n’est accessible qu’à nous même, dans notre silence intérieur.

Il parait donc légitime de continuer à avancer sur ce même axe théologique, la foi comme miracle secret et intérieur, pour interpréter l’opinion de Jésus sur l’union de deux êtres.

Trois leçons peuvent alors être dégagées de notre passage : cette union est un acte désintéressé et indépendant, cette union reste toujours à l’état de projet, et enfin elle peut se comprendre comme l’exercice de sa propre foi.

Tout d’abord, et en toute cohérence avec la théologie de Marc, Jésus rejette une union utilitaire, dont le seul fondement serait une relation contractuelle, fondée sur la combinaison d’intérêts de groupes sociaux ou familiaux. Une relation amoureuse, et plus généralement toute relation affective, n’est pas une relation d’affaires. Il faut reconnaitre que le mariage, jusqu’au XIXème siècle se réduisait pourtant souvent à cela : un contrat permettant de ne pas dilapider le patrimoine foncier, ou d’assurer l’alignement d’intérêts de famille nobles ou industrielles. Le mariage juif de nos jours, à l’image de ceux auxquels a assisté jésus à Canaan, s’accompagne toujours de la rédaction d’une Ketouba qui décrit les droits et devoirs des mariés, et divers termes agréés avant la cérémonie entre les familles dans une pièce à part, en présence du rabbin, qui en vérifie la légalité. Lorsque la Kétouba est finalisée, elle est remise à la mariée pour relecture : si elle en agrée les termes, elle la brandit devant l’assemblée qui se porte alors garant du contrat. Enfin, en lui donnant l’alliance, le marié précise : « je te prends pour épouse selon les termes de la loi de Moïse et d’Israël »[1]. Dans notre société où les droits des citoyens sont bien encadrés, tout cela relève un peu du simulacre sympathique et folklorique. Cependant c’est contre une interprétation réductrice de cette cérémonie, de la vision strictement légaliste des pharisiens (qui raisonnent en stipulation et en règles inscrites noir sur blanc sur une Ketouba) que Jésus s’insurge. Comment l’union de deux êtres peut-il prendre vie en tant qu’aventure humaine, s’il se réduit à un accord commercial entre familles ? Le rappel de Genèse « il quittera père et mère » souligne combien cette union doit être initiée par un mouvement sincère, autonome, adulte, sans regarder au contexte familial ou sociétal.

Le second point est que, comme pour la relation entre le peuple élu et Dieu, toute relation humaine à 2 apporte son lot régulier d’exaspérations et de déceptions : il faut l’accepter, cela fait partie du plan de Dieu. C’est ainsi, et cela a été instauré depuis le commencement du monde au moment où la possibilité d’un autre, d’une altérité, a été voulu par Dieu. L’autre, n’est pas moi, et cette règle ne souffre aucune exception, même dans le jardin d’Eden : en effet, le verset qui suit l’annonce d’une seule chair, dans Genèse 2, commence par « ils étaient deux, nus, etc … », comme pour rappeler qu’il n’y a plus de retour en arrière possible. Il est intéressant d’ailleurs de voir que le texte hébreu, contrairement aux traductions grecques et ultérieures, n’utilise pas le même temps pour les deux parties de la phrase : « ils quitteront père et mère » et « ils deviendront une seule chair ». Dans le premier cas il s’agit d’un inaccompli : le fait prend du temps mais se réalisera inéluctablement, l’enfant quitte ses parents pour vivre une nouvelle aventure affective, c’est le fait de la puissance ordonnée de Dieu (potestas ordinata). Dans le deuxième cas, il s’agit d’un accompli converti, appelé aussi parfois accompli prophétique, qui signale un fait qui n’arrivera peut-être jamais mais reste un projet vivant, une grâce inattendue qu’on ne peut espérer que de la volonté absolue (potestas absoluta) de Dieu : les êtres qui s’unissent, cherchent à se comprendre, à se recréer à deux un petit Eden du temps d’avant, mais ils n’y arriveront pas de façon conclusive dans ce monde. Cependant cela doit être leur lot d’humain d’essayer cette re-création, de toutes leurs forces, car réduire la distance qui nous sépare de l’autre – sans chercher à comprendre pourquoi il nous incombe de le faire – fait partie du plan de la Création, de ce que Dieu veut pour l’homme.

Et c’est précisément ce plan pour la création qui sera notre troisième point, et qui conclut les paroles de jésus : « dieu veut unir les humains, les faire s’accepter dans leur altérité. Que l’homme ne cherche pas à saper cet élan naturel, car ce serait aller contre la volonté divine ! ». Ce n’est donc pas, de façon réductrice, une union contractée dans un lieu précis, entre deux être précis, selon un protocole précis, qui serait le plan de Dieu. Le texte peut aussi s’interpréter de façon plus générale comme le plan de rencontre que Dieu ouvre aux humains, pour retrouver une unité perdue depuis le commencement du monde, depuis la création de l’autre, mais aussi depuis la destruction de Babel, une unité perdue par la volonté absolue de Dieu. Il est d’ailleurs révélateur que le terme extrêmement fort dans la culture juive d’adultère, presque équivalent d’idolâtrie, accompagne le refus d’acceptation de l’autre : la transgression de la confiance que j’accorde à l’autre, vaut comme transgression de la confiance que Dieu a mis en l’homme. A l’inverse l’autre, dans une union sincère peut devenir le premier protagoniste et révélateur de ma propre foi, et je deviens le sien : cette double relation de confiance en l’autre est voulue par Dieu, et peut relever d’un miracle partagé, d’un mystère équivalent à la révélation de ma propre foi.

En conclusion, ce texte, loin d’un rigide recueil de normes, s’intègre sans difficulté à l’exposé de la théologie de Marc fondé sur le miracle intérieur de la foi, : il existe pour Marc une forme possible de foi vécue à deux, et, par exemple dans une Eglise, de foi vécue à plusieurs. Les trois leçons de notre texte sur l’union – acte désintéressé et autonome, projet permanent, implication de foi – s’appliqueraient d’ailleurs avec la même pertinence à la définition de la grâce divine personnelle.

Sur le troisième point, il est évident que plus l’implication dans la vie de l’autre est forte, plus cet enjeu de foi est important : la vie en couple qui partage tant d’instants personnels, est donc un vecteur privilégié de cette accomplissement de rencontre de l’autre, et devient par là un accomplissement privilégié de notre foi. 

Mais la réunion de deux êtres, ou de plusieurs êtres sous le regard de Dieu, me semble dépasser ce simple cadre d’un couple. La grâce reçue de Dieu, toute personnelle et intime qu’elle soit, pour exister dans ce monde ci, doit être partagée d’une façon ou d’une autre. Elle est un bien de l’humanité qui doit être vécue en commun, comme le rappelle Calvin au chapitre VII du livre III de l’Institution de la religion chrétienne « tout ce que nous avons reçu de grâce du Seigneur, nous a été commis à cette condition que nous le conférions en commun. Et puisque l’usage de cette grâce est une amicale et libérale communication envers notre prochain, pour suivre une telle communication on ne pouvait trouver une règle meilleure ni plus certaine … que de dire que tout ce que nous avons de bon en nous nous a été baillé en garde par Dieu, et ce à telle condition qu’il soit dispensé au profit des autres ». 

Tout ce qu’il a de bon en nous, nous a été donnée en garde par Dieu pour le profit de l’autre, ou des autres.

Amen


[1] Dans les mariages très religieux, la réciproque n’existe pas pour l’alliance du marié de la part de la mariée … elle ne dit tout simplement rien.

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