Retour sur la journée de l’Ascension 2024

Retour sur la journée de l’Ascension 2024

C’est encore une grande joie pour nous d’avoir célébré cette année la journée de l’Ascension, avec nos frères et sœurs protestants mais aussi catholiques de la Paroisse de Courseulles et de toute la région de basse Normandie.

Nous avions choisi un thème qui n’était pas si facile : la notion de temps dans la Bible et la symbolique qui lui était associée. Nous avons analysé cette symbolique à travers les textes et découvert aussi comment cette symbolique s’exprimait à travers des nombres caractéristiques : 3, 7, 8, 12, 40 … et parfois leurs multiples !

Bravo à tous les participants à ces ateliers, et aux textes qu’ils ont écrits en support du culte de l’après midi.

Après le repas fraternel bien mérité, où nous avons eu le plaisir de déjeuner et de discuter avec les musiciens du concert de l’après midi, nous avons poursuivi avec une promenade digestive qui a permis de faire découvrir quelques curiosités de Courseulles dont le cimetière protestant.

Le culte, avec le support des textes des ateliers du matin, nous a permis de conclure notre réflexion spirituelle et notre communion fraternelle de la journée.

Le concert sur les cantates BWV 4 et 150 a été, encore davantage que le concert de l’année dernière, un beau succès avec plus de 80 personnes. Le texte de la conférence, ainsi que Gilles Treille le chef d’orchestre, ont participé à remettre en contexte ces cantates, dans l’environnement historique de Bach, mais surtout dans la spiritualité piétiste omniprésente dans son œuvre. 

Du point de vue musical, le concert nous faisait entendre une cantate de Bach (la BWV 4) dont la mélodie support (cantus firmus) était un cantique de Luther de nos recueils, ce qui a permis à l’assemblée de l’entonner accompagné par l’orchestre. D’un point de vue spirituel, ce concert concluait aussi en beauté notre journée dédié au temps de Dieu : la musique chez Bach s’inscrit en effet dans le temps de l’homme, associé dans ses partitions au chiffre 6, mais trouve son accomplissement dans la perfection du temps de la foi, qui est le temps de Dieu, associé au chiffre 7.

Un grand merci à tous les participants de cette journée qui ont contribué à son succès, et un plus grand MERCI encore aux animateurs de la journée (Christiane, Elisabeth, Léa, Marie Françoise, Marie Hélène, Virginie, Daniel, Pierre, Ronan), formidable équipe qui a su jongler toute la journée avec les imprévus et les improvisations … Bravo !



CONCERT CONFÉRENCE DE CONCLUSION SUR LA JOURNÉE DE L’ASCENSION

TEMPS DES HOMMES ET TEMPS DE DIEU

Bonjour à tous, 

Ce concert conclut notre journée de réflexion sur la notion de Temps dans la Bible, et en particulier à la mesure du temps et aux nombres que la Bible associe avec régularité à ces mesures : le nombre 40 par exemple associé au temps de l’épreuve et du renouveau, et nombre de jours nous séparant aujourd’hui de la fête de Pâques.

Il nous a paru approprié de terminer cette journée avec deux cantates de Bach, compositeur dont on sait l’intérêt qui portait à la symbolique des nombres. Le chiffre 6 par exemple reflète le temps d’une création complète, de même que le monde a été construit en 6 jours, le septième étant laissé à la seule gloire de Dieu : il y a, entre autres, six concertos brandebourgeois, six suites pour violoncelles seuls, 6 partitas pour orgue, etc …Dans la cantate 150 que nous entendrons tout à l’heure, le chœur central comporte six fois la prière « conduis moi » (leite mich), avant de trouver sa conclusion en Dieu, in deiner Wahrheit(dans Ta vérité).  

Si la symbolique du temps peut scander certains passages de Bach, le comput du temps structure aussi l’organisation des cantates les unes par rapport aux autres.

Les cantates de Bach se déploient dans la régularité de l’ordo liturgique, affectées chacune à un temps de l’évangile, qui lui-même est associé à un temps de l’année avec lequel il n’est pas sans rapport : il fait sens de célébrer, selon les canons du concile de Nicée, la renaissance de jésus le dimanche après la première pleine lune de printemps, le printemps étantla saison du renouveau par excellence.

C’est justement pour accompagner le dimanche de Pâques que Bach aurait écrit la première cantate de notre concert BWV 4 : Christ lag in Todesbanden, Christ était gisant dans les liens de la mort- il ‘était gisant, donc il ne l’est plus : il s’agit bien d’une cantate de Pâques. 

CHRIST LAG VON TODESBANDEN

Vous pouvez l’écouter sur cet album aux pistes 12 à 18

Cette cantate est un tour de force de composition à plus d’un titre :

  • Tout d’abord par l’exigence que s’impose Bach de n’utiliser comme texte que le texte du Choral de Luther qiu porte le même nom
  • De plus chaque mouvement comporte, comme en fil rouge, la mélodie du  choral de Luther,
  • Encore,, la structure de la cantate s’équilibre parfaitement en 7 parties symétriques : deux airs en solo (ténor et basse), deux airs en duos, trois tutti dont deux chœurs. Le centre de symétrie de la cantate est le verset « la vie et la mort se livrèrent un stupéfiant combat », qui est en quelque sorte la morale de la cantate – morale ne réalité plus ancienne que le cantique de Luther comme nous allons le voir.
  • Enfin, à partir de ce « combat central » se déploie symétriquement, d’abord l’angoisse de la mort dans la première partie, et la joie de la vie dans la deuxième partie. 

Pour illustrer ce dernier point par un exemple, il suffit de comparer le duo de la première partie et le duo de la deuxième partie, en suivant la symbolique des voix :

  • Le premier est un duo soprano alto : la soprane est souvent chez Bach associé à l’esprit et l’alto dans les passions est la voix de la tristesse, qui s’exprime dans les Passions au pied de la Croix. Vous prêterez attention à l’alleluia final de ce dui, phrase lente et descendante, marquée ‘une profonde mélancolie. Vous noterez aussi la répétition lancinante du mot Tod, mort, en début de duo.
  • Le second duo, après la bascule du milieu de cantate est un duo soprano et ténor, le ténor représentant le croyant ou l’évangéliste annonçant la bonne parole de la résurrection. Sans surprise l’alleluia final est cette fois en triolets rapides, et empreint d’un ton joyeux.

La perfection presque mathématique de cette composition permet de postuler, et cette hypothèse ne fait aujourd’hui plus débat, qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse, datant des années où Bach était organiste à Mülhausen, entre 1707 et 1708, et cherche un emploi de maître de musique. Cette œuvre serait donc une œuvre de « démonstration » que Bach compose pour prouver ses qualités de compositeur alors qu’il n’a que … 22 ans.

Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une cantate, sorte de mini opéra sacré avec récitatifs en deux parties à insérer avant et après la prédication, mais plutôt d’un concert spirituel (KirchenMusik) dont on n’est pas absolument certain qu’il ait été joué dès sa création.Œuvre de démonstration du jeune Bach, elle présente en tout cas déjà, malgré sa jeunesse, tous les traits de la maturité de Leipzig, avec en particulier quelques « constantes expressives », sortes de conventions musicales, discernables dans la partition (on notera en particulier la présence du « thème de la croix », précisément sur le mot Kreuz dans l’air de basse).

Œuvre de présentation ou non, la composition de Bach reste cependant toujours au service du sens spirituel du texte, d’autant plus qu’il s’agit d’une pièce de Pâques, et mis en quelque sorte en regard de la lecture qu’en fait Luther.

Comme mentionné, Bach s’appuie à la fois sur la mélodie et les paroles du cantique de Luther, mais Luther lui-même s’appuie sur une mélodie et un texte plus ancien.

La mélodie originelle est la mélodie grégorienne Victimae Pascali Laudes, composition du XIème siècle qu’on devrait à Wipon de Bourgogne, ou Hermann de Reichenau, ou Adam de Saint Victor …. 

Pour l’anecdote, en France, cette séquence était chantée de façon très particulière, lors des vêpres du lundi de Pâques. Selon Jean Beleth, théologien, liturgiste et sermonnaire français du XIIème siècle, le doyen se mettait au milieu du chœur, et se mettait à danser un tripudium, unedanse ancienne à trois temps, tout en tenant dans ses mains un ballon. Le reste des chanoines se mettaient en cercle autour de lui et, tout en chantant Victimae Pascali Laudes, devaient rattraper et relancer le ballon que leur envoyait le doyen.

Cette pratique des cathédrales d’Amiens, de Chartres, de Reims, d’Auxerre, et d’Arras était attestée au moins jusqu’à la fin du XIIème siècle Le ballon était censée, on suppose, représenter l’âme du Christ s’échappant du cercle des enfers.

Ce chant, sans l’amusante partie de balle au prisonnier qui l’accompagnait, fait toujours partie du Missel Romain pour les dimanches de Pâques et Quasimodo.

Le texte comporte, déjà, ce verset central de notre cantate : Mors et vita duello conflixere mirando : la vie et la mort se livrèrent un stupéfiant combat.

(chant grégorien)

Ce chant fut popularisé en Allemagne au XIVème siècle par Konzil de Konstanz, dans une version allemande Christ ist erstanden von seine Marter alle, «Christ s’est relevé de toutes ses tortures. Konzil adapte le chant grégorien en divisant la mélodie initiale en deux phrases de mesures à peu près égales, ne garde que l’idée générale du texte originalet rajoute à la fin de chaque couplet un « kyrie eleison ». Ce chant est toujours très populaire du temps de Bach qui l’harmonise d’ailleurs en choral et en prélude d’orgue (BWV 276)

(choral de Bach)

Luther s’inspirera, et du chant de Konzil, et de la mélodie grégorienne : du premier il reprend l’idée d’un refrain final mais en change le sens (au lieu d’un Kyrie Eleison sombre, il le remplace par un joyeux Alleluia). Quant à la mélodie grégorienne, il la reconstitue en une seule partie et surtout en traduit en allemand l’idée centrale : « es war ein wunderlicher Krieg da(s) Tod und Leben rungen » : ce fut un stupéfiant combat que se livrèrent la vie et la mort.

Sous cette nouvelle forme, le chant devient une petite prédication en deux parties qui se suffit à elle-même. Le miracle de Pâques c’est bien la victoire de la vie sur la mort, miracle contraire aux lois de la Création où tout est voué à périr. Ce miracle pascal s’étend au croyant, qui délivré de la mort du péché, annonce à la fin de cantate la vie éternelle de sa foi, qui se nourrit du message du Christ. La vie a gagné ce stupéfiant combat sur la mort dans le cœur du croyant.

Avant d’écouter notre cantate, ce chant faisant toujours partie de la liturgie protestante de l’Eglise Unie de France, je vous propose de le chanter en assemblée pour nous aider à garder en tête la ligne musicale du chant, ce qui vous permettra de mieux l’identifier dans chaque partie de la cantate qui va suivre.

(choral de l’assemblée)

CANTATE NACH DIR HERRE VERLANGET MICH

Vous pouvez l’écouter sur cet album aux pistes 22 à 28 :

La cantate qui va suivre  présente un certain nombre de ressemblances de forme avec la cantate précédente. Elle est loin du format cantate avec récitatif, typique des années de maturité, et présente même la caractéristique curieuse de n’inclure aucunchoral à chanter par l’assemblée. 

On se retrouve là encore sans doute avec une pièce de démonstration, une Kirchenmusik pour un concert spirituel davantage qu’avec une cantate à insérer dans un culte luthérien.

Comme la cantate BWV 4, elle présente une structure en arche : le sens spirituel en est au centre, dans le choeur « Leite mich in derner Warheit », expression de l’élan de piété du croyant (conduits moi vers ta vérité). Alors que la cantate précédente était en mi mineur, le mode mélancolique ou triste chez Bach, la cantate BWV est en si mineur, le mode de la souffrance. Le croyant souffre des peines de sa vie quotidienne, des injures des méchants. Il ne comprend pas les raisons de ses souffrances et cherche quelle doit être son attitude dans l’adversité. La cantate, portée par la spiritualité piétiste de Bach, propose au croyant de se tourner seulement vers Dieu, avec la ferme espérance que son secours viendra précisément de cet élan de confiance. Cette leçon spirituelle est l’une des plus fréquentes dans la musique de Bach, et elle représente sans aucun doute l’expression de sa propre foi.

Mais cette cantate est-elle vraiment de Bach ?

Outre son aspect non liturgique, elle présente en effet des curiosités qui dénote un peu dans le corpus musical de Bach. La cantate inclut un trio vocal, fait vocaliser un basson dans l’air V, se termine par une chaconne … toutes choses assez rares dans l’œuvre de Bach.

De plus on a parfois l’impression d’une œuvre composite, alliant divers styles comme dans un exercice de concours : le début du chœur central rappelle irrésistiblement Schütz, alors que le premier chœur avec ses entrés en strette dès le début évoque les polyphonies de la Renaissance. 

Il pourrait donc s’agit soit d’une œuvre de démonstration du jeune Bach pour un poste à Mülhausen en 1707, comme la cantate BWV 4, soit d’une composition ultérieure, d’un exercice musical, d’un étudiant de Bach alors que ce dernier enseigne la musique à Leipzig à partir de 1723

Le débat entre musicologues sur l’attribution de la cantate est resté très vif jusqu’en 2011, année où un simple amateur éclairé belge, Jean de Wael, a présenté un argument irréfutable, accessible à tous et si évident que personne n’y avait jamais fait attention.

Vous allez en juger par vous-même en vous reportant au texte allemand de la cantate et en examinant les 4 derniers versets …

Bleibet Gott mein treuer Schutz,

Achte ich nicht Menschentrutz,

Christus, der uns steht zur Seiten,

Hilft mir täglich sieghaft streiten.

Si Dieu reste ma protection fidèle,

Je ne me soucie pas de la malveillance des hommes,

Christ, toi qui te tiens à nos côtés

Aide-moi chaque jour à lutter jusqu’à la victoire

Effectivement on trouve l’acrostiche BACH, signature cachée du compositeur en fin de composition. Il pourrait simplement s’agir d’une coïncidence cependant. Il suffit alors d’examiner les acrostiches des parties 3, 5 et 7, et l’on trouve alors trois autres acrostiches qui sont liées entre elles : Doktor Konrad Meckbach (en corrigeant deux versets mal copiés, nous y reviendrons) Hors, en 1707, lorsque Bach est à Mülhausen le Doktor Konrad Meckbach est non seulement maire de la ville, mais se trouve de plus célébrer ses soixante dis ans. Il ne peut donc plus s’agit d’une coïncidence : cette cantate est bien une œuvre de présentation du jeune Bach, sorte de compliment intéressé écrit sans doute pour le 70 ème anniversaire du maire de Mülhausen.

Cette remarquable découverte questionne aussi sur les erreurs du scribe : pour écrire Conrad il faut faire deux substitutions aux initiales des vers de la partie 5. Changer un Z en C, dans Cedern, ce qui est simplement conforme à l’usage ancien. Mais aussi, ce qui change tout à fait le sens, sans doute corriger Oftmals, en Niemals : « souvent » en « jamais ». Le texte originel serait donc « jamais ils ne seront renversés ».

Cette lecture fait tout à fait sens dans le contexte de la cantate et de ses références bibliques. Nous avons passé, dans la partie 5,l’axe de symétrie de la cantate, le croyant se tourne désormais avec confiance en Dieu : il reçoit les injures des autres (comme le Cèdre le vent), mais se relève fermement avec la Parole de Dieu (comme le Cèdre s’élève fermement vers le ciel). Comme il est écrit dans le Psaume 92, référence vraisemblable du passage : « mon oreille entend mes méchants adversaires mais les justes croient comme le palmier, ils s’élèvent comme le Cèdre du Liban ». Cette référence n’était sans doute pas claire pour le copiste, qui a corrigé le texte en se fondant sur d’autres passage de la Bible plus connus qui parle effectivement de cèdres déracinés, le cèdre étant le symbole du royaume de Phénicie, qui tombera sous l’envahisseur assyrien au IXème avant JC. Cette allusion a la punition des méchants détonnerait dans cette cantate qui met avant tout l’accent sur la piété personnelle, et on peut remercier Jean de Wael d’avoir aidé à retrouver, dans cette 5ème partie, le sens spirituel profond de cette cantate : la confiance inconditionnelle du croyant en Dieu au milieu de l’adversité.

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